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prit de m’apercevoir que vous employiez ce temps à connaître si j’étais digne de vous. En effet, enivrée du plaisir de vous voir, mon âme n’apercevait aucun autre sentiment dans moi ; et quoique je n’eusse d’autre désir que celui de vous posséder toute ma vie, il ne me vint jamais dans l’idée de former un projet suivi pour m’assurer ce bonheur.

Cependant, la modestie de vos expressions et la sagesse de vos procédés avec moi ne laissaient pas de m’alarmer. S’il m’aimait, disais-je, il aurait auprès de moi les airs de vivacité que je vois à tels et tels, qui m’assurent qu’ils ont pour moi l’amour le plus vif. Cela m’inquiétait. J’ignorais alors que les gens sensés aiment avec des procédés sensés, et que les étourdis sont des étourdis partout.

Enfin, cher comte, au bout d’un mois, vous me dîtes un jour assez laconiquement que ma situation vous avait inquiété dès le jour même que vous m’aviez connue ; que ma figure, mon caractère, ma confiance en vous vous avaient déterminé à chercher des moyens qui pussent me tirer du labyrinthe dans lequel j’étais à la veille d’être engagée. « Je vous parais sans doute bien froid, mademoiselle, ajoutâtes-vous, pour un homme qui vous assure qu’il vous aime. Cependant, rien n’est si certain ; mais comptez que la passion qui m’affecte le plus