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s’éveillant : Je vous ai conté hier, ma chère Thérèse, à peu près toutes les misères de ma vie ; vous avez vu le mauvais côté de la médaille ; ayez la patience de m’écouter : vous en connaîtrez le bon.

Il y avait longtemps, poursuivit-elle, que mon cœur était bourrelé, que je gémissais de la vie indigne, humiliante, dans laquelle la misère m’avait plongée, et où l’habitude et les conseils de la Lefort me retenaient, lorsque cette femme, qui avait eu l’art de conserver sur moi une sorte d’autorité de mère, tomba malade et mourut. Chacun me croyant sa fille, je restai paisible héritière de tout. Je trouvai, tant en argent comptant qu’en meubles, vaisselle, linge, de quoi former une somme de trente-six mille livres ; en me conservant un honnête nécessaire, tel que vous le voyez aujourd’hui, je vendis le superflu, et dans l’espace d’un mois j’arrangeai mes affaires, de manière que je m’assurai trois mille quatre cents livres de rente viagère. Je donnai mille livres aux pauvres, et je partis pour Dijon, dans le dessein de m’y retirer et d’y passer tranquillement le reste de mes jours.

Chemin faisant, la petite vérole me prit à Auxerre ; elle changea tellement mes traits et mon visage qu’elle me rendit méconnaissable. Cet événement, joint au mauvais secours que j’avais reçu pendant ma