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avait de beaux yeux ; elle était grande, assez bien faite, mais laide, noire, sèche, minaudière, jouant l’esprit et le sentiment sans avoir ni l’un ni l’autre. La beauté de sa voix lui avait procuré successivement nombre d’adorateurs. Celui qui était alors en fonction n’était ému que par ce talent, et les seuls accents de la voix mélodieuse de cet Orphée femelle avaient la vertu d’ébranler la machine de cet amant et de l’exciter au plus grand des plaisirs.

Un jour, après avoir fait, entre nous trois, un ample dîner libertin, pendant lequel on avait chanté, on m’avait plaisantée sur la difformité de mon… ; on avait dit et fait toutes les folies imaginables : nous nous culbutâmes sur un grand lit ; là, nos appas sont étalés, les miens sont trouvés admirables pour la perspective ; l’amant se met en train, il campe Minette sur le bord du lit, la trousse, l’enfile et la prie de chanter. La docile Minette, après un petit prélude, entonne un air de mouvement à trois temps coupés ; l’amant part, pousse et repousse toujours en mesure : ses lèvres semblent battre les cadences, tandis que ses coups de fesses marquent les temps. Je regarde, j’écoute en riant aux larmes, couchée sur le même lit. Tout allait bien jusque-là, lorsque la voluptueuse Minette, venant à prendre plaisir au cas, chante faux, détonne, perd la mesure : un