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lier, pour me dire ce que tu vas entendre (j’avais alors quinze ans) :

« Vous n’êtes point ma fille, me dit Mme Lefort ; il est temps que je vous instruise de votre état. À l’âge de six ans, vous étiez égarée dans les rues de Paris ; je vous ai retirée chez moi, nourrie et entretenue charitablement jusqu’à ce jour, sans avoir jamais pu découvrir quels sont vos parents, quelques soins que je me sois donnés pour cela.

« Vous avez dû vous apercevoir que je ne suis pas riche, quoique je n’aie rien négligé pour votre éducation. C’est à vous présentement à être vous-même l’instrument de votre fortune. Voici, ajouta-t-elle, ce qui me reste à vous proposer pour y parvenir. Vous êtes bien jolie, plus formée que ne l’est ordinairement une fille de votre âge. M. le président de M***, mon protecteur et mon voisin, est amoureux de vous. Voyez, Manon, ce que vous voulez que je lui dise ; mais je ne dois pas vous taire que si vous n’acceptez pas sans restriction les offres qu’il m’a chargée de vous faire, il faut vous déterminer à quitter ma maison dès aujourd’hui, parce que je suis hors d’état de vous nourrir et de vous habiller plus longtemps. »

Cette confidence accablante et la conclusion de Mme Lefort, qui l’accompagnait, me glacèrent d’effroi.