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pouvait me rendre habile aux plaisirs, quoique, pour vaincre ma répugnance, on me citât à chaque instant l’exemple d’une infinité de jeunes filles qui, dans le même cas, s’étaient soumises à cette épreuve.

Destinée dès ma plus tendre enfance à l’état de courtisane, ce défaut, qui semblait devoir être l’écueil de ma fortune dans ce honteux métier, en a été, au contraire, le principal mobile. Tu comprends donc que, lorsque je t’ai dit que mes aventures t’instruiraient des caprices des hommes, je n’ai pas entendu parler des différentes attitudes que la volupté leur fait varier, pour ainsi dire, à l’infini, dans leurs embrassements réels avec les femmes. Toutes les nuances des attitudes galantes ont été traitées avec tant d’énergie par le célèbre Pierre Arétin, qui vivait dans le XVe siècle, qu’il n’en reste rien à dire aujourd’hui. Il n’est donc question, dans ce que j’ai à t’apprendre, que de ces goûts de fantaisie, de ces complaisances bizarres que quantité d’hommes exigent de nous et qui, par prédilection ou par certain défaut de conformation, leur tiennent lieu d’une jouissance parfaite. J’entre présentement en matière.

Je n’ai jamais connu mon père ni ma mère. Une femme de Paris, nommée la Lefort, logée bourgeoisement, chez laquelle j’avais été élevée comme étant sa fille, me tira un jour mystérieusement en particu-