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conviens que nous causerions du scandale, et que nous serions criminels envers la société : notre exemple pourrait séduire de jeunes cœurs destinés, par leurs familles, par leur naissance, à des emplois utiles au bien public, dont ils négligeraient peut-être de se charger pour ne suivre que le torrent des plaisirs.

« — Mais, répliqua Mme C…, si nos plaisirs sont innocents, comme je le conçois présentement, pourquoi, au contraire, ne pas instruire tout le monde de la manière d’en goûter du même genre ? Pourquoi ne pas communiquer le fruit que vous avez tiré de vos méditations métaphysiques à nos amis, à nos concitoyens, puisque rien ne pourrait contribuer davantage à leur tranquillité et à leur bonheur ? Ne m’avez-vous pas dit cent fois qu’il n’y a pas de plus grand plaisir que celui de faire des heureux ?

« — Je vous ai dit vrai, madame, reprit l’abbé T…, mais gardons-nous bien de révéler aux sots des vérités qu’ils ne sentiraient pas ou desquelles ils abuseraient. Elles ne doivent être connues que par les gens qui savent penser et dont les passions sont tellement en équilibre entre elles qu’ils ne sont subjugués par aucune. Cette espèce d’hommes et de femmes est très rare : de cent mille personnes, il n’y en a pas vingt qui s’accoutument à penser ; et de