Page:Boyer d’Argens - Lettres juives, 1754, tome 2.djvu/49

Cette page n’a pas encore été corrigée


On regarde un roman comme un ouvrage fait uniquement pour amuser. Ce ne doit pas être le but pour lequel on doit le composer. Tout livre qui ne joint pas l’utile à l’agréable, est peu digne de l’estime des connoisseurs. En amusant l’esprit, il faut instruire le cœur. C’est par-là que les plus grands hommes ont illustré leurs écrits.

Un écrivain qui, plein de fictions & d’imaginations hardies, amuse les lecteurs dans le cours de douze volumes d’incidens ménagés adroitement & d’une manière intéressante, & qui cependant à la fin de son livre n’a rempli les esprits que d’enlevemens, de duels, de pleurs, de désespoirs & de larmes [1], n’a ni la science d’instruire, ni le don d’atteindre à la perfection ; il ne posséde de son art que la moindre partie.

Un auteur qui plaît sans instruire, ne plaît pas long-tems : il voit son livre moisir dans la boutique du libraire ; & ses ouvrages ont le sort des mauvais sermons & des froids panégyriques.

Autrefois les romans n’étoient qu’un ramas d’aventures tragiques qui enlevoient l’imagination, & déchiroient le cœur. [2]

On les lisoit avec plaisir,

  1. La Calprenede.
  2. Le Polexandre de Gomberville, l’Ariane de des Marets, &c.