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de bon que je ne t’eusse déja envoyé ; excepté deux petits romans qui paroissent depuis peu. Le premier est intitulé, les égaremens du cœur & de l’esprit. Je t’ai parlé dans mes premières lettres de l’auteur. [1]

Il écrit purement : il connoît les sentimens ; & il développe le cœur avec beaucoup de précision & de justesse. Mais il est tombé dans cet ouvrage dans un défaut qu’il a souvent condamné dans les écrits des autres. Il fait sentir au lecteur qu’il court après l’esprit : & il y a quelques endroits où le naturel est sacrifié au faux-brillant. Cette faute, qui n’est pas ordinaire, est réparée par mille beautés. L’auteur de ce roman peint les choses plutôt qu’il ne les écrit. L’imagination est frappée avec plaisir des portraits qu’il fait. Vois si l’on peut définir avec plus de justesse & de précision la première surprise d’un cœur. Sans pénétrer le motif qui me faisoit agir, je conduisois, j’enterprêtois ses regards : je cherchois à lire dans ses moindres mouvemens. Tant d’opiniâtreté à ne la pas perdre de vûe, me fit enfin remarquer d’elle. Je la fixois sans le sçavoir : & dans le charme qui m’entraînoit malgré moi-même, je ne sçais ce que mes yeux lui dirent :

  1. Crébillon le fils.