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capable des trois opérations de la logique : & il ne manque rien à un barbet & à un dogue pour pouvoir pousser le raisonnement aussi loin qu’un régent de philosophie du collège des quatre Nations.

La première opération de l’esprit humain est de concevoir ; la seconde d’assembler ses pensées ; la troisième d’en tirer une juste conséquence. Je vois distinctement dans le chien ces trois différentes opérations. Quand je veux l’apprendre à sauter sur un bâton : lorsqu’il saute, je le flatte ; première pensée. Je le bats lorsqu’il ne saute pas ; seconde pensée. Il saute toujours : voilà la conséquence de ces deux premières pensées. Je réduis en forme l’argument que fait le chien. Si je saute, je suis flatté. Si je ne saute pas, je suis battu. Sautons donc.

L’histoire est remplie de mille traits qu’elle nous a conservés & qui manifestent l’entendement & le raisonnement des bêtes. Montagne, excellent auteur François, parle de certains bœufs qui sembloient avoir appris l’arithmétique. On s’en servoit à tourner cent fois par jour la roue d’un puits mais lorsque leur travail étoit achevé quelque violence qu’on leur fît, on ne leur eût pas fait faire un pas de plus [1].

Ces bœufs étoient mathématiciens, sans

  1. « Les bœufs qui servoient aux jardins royaux de Suze pour les arroser & tourner certaines grandes roues à puiser de l’eau auxquelles il y a des baquets attachés (comme il se voit en Languedoc), on leur avoit ordonné d’en tirer jusqu’à cent tours chacun. Ils étoient si accoutumés à ce nombre, qu’il étoit impossible, par aucune force, de leur en faire tirer un tour davantage ; & ayant fait leur tâche, ils s’arrêtoient tout court. Nous sommes en l’adolescence avant que nous sçachions compter jusqu’à cent, & venons de découvrir des nations qui n’ont aucune connoissance des nombres. » Essais de Montagne, liv. II. chap. XII. pag. 151.