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célèbre, le grand philosophe conserve un avantage sur le conquérant et le général. La mémoire des uns ne présente à l’imagination que le souvenir de quelques actions passées ; mais les ouvrages des sçavans transmettent, font revivre d’âge en âge leur génie & les connoissances de leurs auteurs. Vingt siécles après leur mort, ils parlent encore avec autant d’éloquence & de vivacité que de leur vivant ; & leur esprit se communique à tous ceux qui lisent leurs écrits.

L’on retrouve de nos jours Horace & Virgile, tels qu’ils étoient à la cour d’Auguste. Les héros qui ne se sont illustrés que par leurs actions, ont beaucoup moins d’empire sur nos cœurs. Le simple récit d’un fait touche moins qu’une conversation vive & animée : & c’est la façon dont les bons écrivains agissent sur notre esprit. J’entre dans les peines d’Ovide lorsque je lis ses élégies. Je parcours la nature pas à pas dans les œuvres de Lucrèce. Il me semble que je l’entens lui-même m’en développer les secrets les plus cachés.

Les héros doivent infiniment aux poëtes & aux historiens. Rarement ceux-ci leur sont-ils redevables. Achille doit une partie de sa gloire à Homère. S’il n’y avoit point d’historiens, à peine sçauroit-on qu’il y ait eu un Alexandre.