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vous étonne ? Vous vous humaniserez, si vous restez quelque temps dans ce pays, & vous quitterez cette austere vertu. »

Comment, lui dis-je, Monsieur, voit-on souvent des scenes pareilles à celle qui vient d’arriver ?

« Non, me répondit-il : tous les maris ne sont point aussi sots que M. Mirobolan, & ne rendent pas publiques les affaires de leur ménage. »

Il faut donc, repliquai-je, que les mariages soient bien mal assortis dans ce pays : ce qui doit faire le bonheur de la vie en fait toute l’infélicité.

« Vous vous trompez, me dit-il ; nous sommes accoutumés à ces sortes d’accidens : le sort de nos voisins, de nos parens, de nos amis, nous prépare au nôtre, & nous en ôte l’amertume. D’ailleurs, le mariage chez nous est une espece de commerce. On prend une femme comme on prend une piece de drap : on mesure l’un à l’aune, & l’autre aux louis d’or. »

Je crois, lui répondis-je, qu’une femme doit peu aimer un mari, qui n’a trouvé d’aimable en elle que les richesses, & qu’elle doit le perdre sans le regretter.

« Il en meurt peu, me dit-il en riant, de douleur d’être veuves. Elles observent pourtant un grand cérémonial. D’abord qu’une femme perd son