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pâturage. Le jour où il n’y aura plus de silence autour de ma personne sera certainement un jour terrible. Je me verrai sur du crottin d’argent où ne pousseront plus les pâquerettes aimables ou les anémones pascales de la Douleur, et mes compagnons découragés s’en iront brouter le cytise des licornes sur la montagne.

Tenez-vous donc tranquille, Apemantus. Les conspirateurs du silence, les silentiaires, comme on disait à Byzance, ne sont rien que de pauvres huissiers qui se trompent, croyant voir en moi un bruyant perturbateur. Vous avez été mon hôte plusieurs fois et vous savez que j’ai la mâchoire silencieuse. Mon rire même, quand je dévore les contemporains, ne réveillerait pas une araignée filandière, et mes pas font moins de bruit encore, lorsque je me promène parmi leurs sépulcres. S’ils étaient malins, ils carillonneraient, nuit et jour, pour dénoncer ma présence et me priver ainsi de l’incognito qui favorise mes expéditions de vampire.

Ne me parlez plus de ces imbéciles.


Léon Bloy.

Bourg-la-Reine, novembre 1913.