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VEUVAGE BLANC

Il s’en doutait parbleu bien et riait sous cape de sa petite ruse.

— Il n’y a que Mlle Fresnaye. Elle est au jardin.

— Bien, bien, Fédora, je connais le chemin… Ne vous dérangez pas, ma fille.

S’accolant à la grosse tour découronnée, un berceau de chèvrefeuille égayait le rébarbatif granit au manteau de lierre sombre. C’est là que Louise habituellement se tenait, occupée à quelque couture ou lecture. D’un pas ferme et résolu, avec dans l’allure aujourd’hui quelque chose du soldat en colonne d’assaut, tout droit le général y marcha. Elle lui sourit. Mais avant que fussent prononcées les formules d’accueil :

— Mademoiselle Louise, dit-il, voulez-vous laisser un moment votre ouvrage afin de me mieux prêter attention ?

Bien qu’il eût parle sans emphase, on ne sait quoi dans l’accent fit qu’un étonnement traversa les clairs yeux de pervenche.

Pour toute réponse elle piqua son aiguille dans la batiste du mouchoir qu’elle ourlait. Et prenant son attitude familière, le buste en avant, la tête légère­ment inclinée sur l’épaule, croisés dans son giron les doigts menus auxquels ne brillait aucune bague, elle se mit en devoir d’écouter.

— Vous le savez, reprit-il, si Dieu l’avait permis, j’aurais présentement une fille, à peu près de votre âge, et dont j’eusse souhaité qu’elle vous ressemblât. Faites-moi donc la grâce de me considérer comme si j’étais votre père… Cela me rendra plus aisée ma petite confidence. Je suis, peut-être aussi ne l’ignorez-vous point, sans aucune famille. Au soir de la vie, c’est une lourde tristesse de sentir qu’on est utile à personne en ce monde. Souvent j’avais songé à adopter un enfant… une fille en souvenir de ma petite Chris­-