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tant le plateau, Me Sigebert s’éclaircit la voix.

— Eh bien ! ma pauvre petite Louise, vous sentez-vous un peu mieux ? Vous avez pris votre thé, je vois… C’est bien. Il faut réagir, ne pas laisser vos forces s’abattre…

Par une habitude machinale d’hospitalité :

— Vous en voulez peut-être ? balbutie-t-elle, sachant à peine ce qu’elle dit… Je vais sonner…

— Non, non, merci, je n’ai besoin de rien. Ne vous occupez pas de moi.

Elle n’y pense déjà plus. Prenant la main du notaire, qui s’est assis auprès d’elle, sur le canapé, d’une voix étranglée par les larmes qu’héroïquement elle refoule :

— Oh ! mon cousin, dites-moi bien toute la vérité, je veux savoir…

— La vérité !… Hélas ! ma pauvre enfant, c’est une pénible mission que la mienne. Ce que j’ai appris au cours de mes hâtives démarches ne confirme que trop les apparences premières. Il est malaisé de mesurer dès aujourd’hui avec exactitude la profondeur du désastre. Un fait brutal toutefois, un fait douloureux d’ores et déjà est établi…

L’émotion du notaire se trouvant en conflit avec l’usuelle solennité de son langage, un embarras d’élocution en résulte qui l’oblige à reprendre haleine avec grand renfort de coups de mouchoir sur les tempes. Du geste familier à l’homme habituellement congestionné, il passe l’index entre son ample faux col et le gros cou replet ; puis, rafraîchi, il continue :

— Votre père avait pris de fortes positions dans la campagne de hausse de ce grand spéculateur dont la retentissante déconfiture vient de provoquer le krach du marché des sucres. Tellement que ses capitaux, jusqu’au dernier sou, seront loin de suffire à ses enga­gements, en sorte que…