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VEUVAGE BLANC

Très légèrement elle hésita.

— Qu’il ne pensera à nous. Vous allez avoir bien d’autres sujets d’intérêt… tant de choses nouvelles…

— Et vous croyez qu’elles me feront oublier mon pays… avec ceux que j’y laisse ?

Visiblement ce pluriel aussi était voulu.

— Ce n’est pas peu de chose, allez, que s’arracher ainsi à tout ce qu’on connaît et ce qu’on aime. Voici deux mois, je me réjouissais tellement de ce voyage… je comptais les jours comme font au régiment les hommes de la classe. Et aujourd’hui… je me sens une tristesse…

— Parce que l’heure est proche. Il y a toujours quelque chose de mélancolique dans un départ.

— Peut-être. Mais c’est pour une autre raison aussi.

Cette raison, Louise ne s’en montra point curieuse. Était-ce parce qu’elle la pressentait ?

— Dès que vous aurez mis le pied sur le bateau, dit-elle, cette impression s’envolera. Et puis quoi ? ce n’est pas pour toujours. Vous reviendrez.

— Qui sait ?… Et quand ?… Et d’ici là, tant de choses auront pu arriver.

Louise ne s’enquit pas non plus de ces éventualités auxquelles il faisait allusion. Et derechef entre eux le silence tomba.

Depuis deux mois qu’il vivait en contact intime avec cette féminité d’un charme délicat étayé sur la noblesse du caractère, il n’avait pas lu bien clairement dans certains troubles dont jamais encore il ne s’était senti remué. Ce soir-là, une lumière soudain s’était faite. Il avança d’un pas vers la fenêtre.

— Louise…

Mais comme il cherchait ses paroles, elle se hâta de prendre les devants.

— C’est vraiment tard et la nuit se fait fraîche. Il serait temps, je crois, d’aller dormir.