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VEUVAGE BLANC

— Oh ! la peste… Elle m’aura dépeint comme une manière de Peau-Rouge…

— Un peu. Mais je vois que vous êtes quand même assez civilisé.

— Grand merci, ma cousine. Pour tout vous dire, la civilisation de Bruyères-et-Montbérault ne m’attire que faiblement. Vous y êtes depuis un mois et n’y connaissez que les Sigebert, lesquels sont d’assez braves gens. Attendez un peu… Quand vous aurez pressé le citron…

Le soupir de Louise n’échappa point à celui qui marchait tout contre elle dans le chemin très rétréci encore à cette place. Et sous la lumière atténuée de ce clair sous-bois, ils faisaient un aimable couple. Lui, de taille plutôt petite, mais robuste en sa souplesse juvénile, le teint halé un peu, l’œil brun, vif et hardi, sous la fine moustache noire un beau sourire de loyauté. Elle, sa joliesse blonde en contraste attendrissant avec l’austérité des vêtements de deuil, sa délicate pâleur animée par la marche et le grand air qui avaient mis aussi dans les yeux de pervenche une flamme douce.

— Ah ! diavolo ! s’écria Claude tout d’un coup, et mon ami que j’ai oublié… Oui, un camarade que j’amène… C’est toute une histoire. Il avait affaire à la poste de Laon et est grimpé en ville, tandis que je prenais les devants pour annoncer à ma mère la venue de deux affamés.

Ils pressèrent le pas. Mais, poussée à la main, la bicyclette n’allait guère vite, s’accrochant aux herbes, aux ronces. La passerelle enfin fut franchie. Par delà les planches de pois et de salade, ils aperçurent au loin Mme Sigebert dont les yeux perçants découvrirent, les deux jeunes gens qui cheminaient à travers le pré.

— Clovis ! clama-t-elle, Clovis !… Voilà M. Claude. Mettez vite son couvert.