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VEUVAGE BLANC

nable exigence. L’inlassable activité de Mme Sigebert l’incite en appels sans cesse réitérés aux domestiques, lesquels, faute de partager avec leur maîtresse le don d’ubiquité, ont pris le parti de n’y répondre que lors­ qu’ils le jugent expédient selon l’ordre et les besoins du service. Au surplus, elle n’insiste guère, ayant ordinairement oublié ce qu’elle demande avant que soit venu le temps de renouveler son ordre.

L’introduction parmi des inconnus, même présumés bienveillants, à la curiosité de qui on se sent offert en pâture, comporte une gêne. Louise avait le sentiment de ce que sa détresse était inharmonique en cette ambiance paisible, heureuse sans doute. Elle mesurait la disproportion profonde entre des témoignages de sympathie stéréotypés, quoique sincères, et une douleur telle que la sienne.

L’habituelle pétulance de Mme Sigebert, surexcitée aujourd’hui par ces événements sensationnels, la sauva un peu de son malaise. Les trois cousines de Louise lui furent nommées en succession. Poliment, elle assura les reconnaître pour les avoir vues une fois quelques douze ans plus tôt. Docile, elle se soumit à la double accolade de chacune, respectivement accompagnée d’un :

— Vous avez fait bon voyage ?

— Vous n’êtes pas trop fatiguée ?

— Débarrassez-vous donc de votre manteau.

Elle n’eut pas la peine de chercher des réponses qu’au surplus on n’attendait point, Mme Sigebert étant aussitôt repartie dans la voie de l’attendrissement bruyant.

— Pauvre petite, pauvre petite !… que c’est donc malheureux tout cela. Enfin, enfin, il faut avoir du courage et prendre sur vous… Va donc voir, Ludivine, pourquoi on n’apporte point le malaga et les biscuits.

Les pommettes échauffées légèrement par le doigt