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VEUVAGE BLANC

« Vous m’avez posé une question, puis adressé une demande. À la question, voici ma réponse très sincère. Oui, mon cher Claude, si Dieu l’eût permis, je vous aurais aimé. Oui, la pensée de faire à votre bras le voyage de la vie m’avait traversé le cœur et elle m’eut été chère. Oui, ainsi que vous aviez cru deviner mon penchant pour vous — qui donc se tromperait à ces choses ? — j’avais eu la présomption de vous en croire pour moi.

« Mais, comme vous aussi, je savais que le mariage alors nous était pratiquement impossible. Comme vous, sans être intéressée, Dieu merci, ni ambitieuse, je savais que la vie n’est point de la littérature. Je savais comme vous que, si humble qu’il soit, faut-il avoir un foyer, et aussi que, quand le cœur ferait pour soi-même bon marché des nécessités de l’existence, la raison doit songer à ceux qu’on n’a pas le droit de mettre au monde sans leur avoir préparé un nid. Vous aviez été tenté, me dites-vous, de m’offrir votre foi, pour attendre l’avenir, et vous ne l’avez point fait par scrupule de me lier dans des conditions aussi incertaines. Lorsque, après si peu de temps, la fortune vous a été favorable, vous avez conçu l’amer regret de vous être abstenu. Au risque de l’augmenter, laissez-moi, Claude, vous en donner l’assurance : si alors je me fusse trouvée libre, non certes, l’exil à vos côtés ne m’aurais pas fait peur. Mais je ne l’étais plus. Pourquoi me serais-je gardée, dès que nous n’avions pas voulu, qu’en honnêteté nous n’avions pas pu échanger nos paroles ? Car le même sentiment qui vous a retenu de m’offrir la vôtre m’eût détournée de l’accepter. Je n’aurais pas consenti à mettre une entrave à votre carrière. Mon refus aurait eu un motif de plus : c’est qu’il m’eût semblé ainsi trahir la généreuse hospitalité de vos parents. Auraient-ils approuvé que, si jeune, leur fils engageât sa vie ? Et aussi, dans ma