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cette aggravation que vous vous trouveriez dénuée de ressources ? Non, non, ma chère petite cousine, un homme de cœur, quand il a charge d’âme, ne se tue pas parce qu’il est ruiné.

Son accablement secoué à présent, avec l’ardeur désespérée du naufragé se cramponnant à une épave :

— Et puis, s’écria-t-elle, lorsque à l’heure habituelle il est parti pour son bureau, s’il avait eu dans l’esprit… cette chose…

Les pauvres lèvres tremblantes se refusaient à articuler le mot rempli d’horreur.

— S’il l’avait eue, ne m’aurait-il pas embrassée de certaine manière ? Et moi j’aurais deviné… un pressentiment m’aurait avertie… Et je l’aurais retenu, je me serais attachée à ses pas… Ah ! mon Dieu, si j’avais fait cela, mon pauvre cher père vivrait encore. Au milieu des larmes qui recommençaient à couler, elle gémit douloureusement.

— Allons, allons, gronda Me Sigebert, paternel, voilà que ce serait votre faute, à présent !… Cela n’a pas le sens commun. Vous disiez bien tout à l’heure : votre cœur n’aurait pu s’y tromper. L’orpheline ne demandait qu’à être convaincue.

— N’est-ce pas ? Et même… j’y ai tant et tant songé depuis ces deux jours, j’ai tant essayé de me rappeler ses moindres mots, ses moindres jeux de physionomie… même je jurerais que, ce matin-là, il était plus calme. Car il faut vous dire, ces jours derniers, j’avais bien remarqué qu’il était inquiet, un peu sombre. Je savais par les journaux la débâcle des sucres. Quoique jamais il ne me parlât de ses affaires, j’avais cru, voyant son souci, pouvoir lui en toucher un mot. Il m’avait répondu que c’était une crise passagère, une alerte assez chaude, mais dont on reviendrait. Mais ce matin-là, mon cousin, ce matin-là, oh ! oui, j’en suis bien sûre, à présent, il