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VEUVAGE BLANC

bien profonde. Peut-être se rencontra-t-il quelques jugements assez fins pour soupçonner la vérité. Ceux-là toutefois qui sentaient ainsi n’avaient point, le courage de leurs conclusions, car ce sont sujets sur lesquels on redoute de sembler naïf.

Pareillement en allait-il des faciles pronostics émis sur l’avenir du ménage. Les hommes mêmes qui affectaient de se préparer à tirer profit d’un cas aussi anormal étaient déconcertés par la façon d’être de cette jeune femme, jolie pourtant, d’un charme si pénétrant surtout. Non qu’elle fit étalage d’aucune sévérité. Très simplement, elle demeurait elle-même et c’était le meilleur moyen assurément pour soutenir une situation particulière jusqu’à en être scabreuse.

Quand au général, la dignité très haute mise en lui par un long passé d’honneur le préservait du ridicule et de l’odieux qu’il avait pressentis. Il était l’officier instruit, laborieux, de caractère irréprochable, qui dans le métier des armes apporte un peu de l’austérité religieuse. Et il avait été d’autant plus profondément attaché au drapeau qu’il était sevré de toutes affections, d’autant plus inflexiblement esclave du devoir militaire que dans son isolement de cœur, nul autre ne risquait de se trouver jamais en conflit avec celui-là.

Le deuil cruel qui avait pesé sur le plein de sa maturité, en le confinant dans une vie retirée et sévère, l’avait incliné vers la réflexion. Possédant de la culture, de la lecture, il s’était fait sa propre philosophie des choses, un peu synthétisée peut-être au gré des esprits curieux d’analyse, mais elle n’en était que plus forte, et sereine aussi dans sa sévérité. Jamais il n’avait été très pratiquant, mais toujours il était resté religieux et dans sa foi, robuste quoique ou parce que simplifiée, il puisait le dédain des petites vilenies comme des petites vanités d’ici-bas.