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avant-propos

représentants les plus célèbres, fait fi de ces procédés naturels, et s’ingénie à y substituer des méthodes savantes et artificielles. Volontiers elle voit dans l’enfant un être à part, un animal dont elle aurait mission de faire un homme, et que l’on peut d’ailleurs dresser à son gré pourvu qu’on sache s’y prendre. Justifiant les moyens par la fin, elle admet des ruses et des mensonges salutaires, et elle s’admire dans ses inventions. À quoi bon créer une science nouvelle, appuyée sur plusieurs autres sciences, si c’est pour procéder comme le premier venu ? C’est pourquoi la pédagogie dont je parle ne marche jamais droit, mais cherche toujours des voies détournées. Elle veut que l’enfant croie aller de lui-même au but où elle le mène ; elle entend qu’il prenne pour l’effet de la nature toute seule ce qui est en réalité le produit de la nature machinée et mue par l’opérateur. Alors qu’elle ne parle que de nature, l’art ne lui suffit pas, mais elle fait appel à l’artifice.

« Si vous voulez, dit Locke, amener les enfants à rechercher ce qui leur est utile, vous devez leur présenter comme une récréation, et non comme une tâche à remplir, tout ce que vous désirez qu’ils fassent. À cet effet, et pour qu’ils ne s’aperçoivent pas que vous y êtes pour quelque chose, voici comment vous devez procéder. Dégoûtez-les de tout ce que vous voulez qu’ils évitent, en les contraignant à le faire, sous un prétexte ou sous un autre, jusqu’à ce qu’ils en soient fatigués. Vous trouvez que votre enfant joue trop à la toupie ? Ordonnez-lui d’y jouer