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avant-propos

et de l’unité. Mais les maximes empruntées directement aux traditions et à la vie demeurent l’essentiel, et nous ne nous faisons pas faute de déroger à quelqu’un des systèmes qui s’ébauchent dans notre esprit, quand il nous semble que telle maxime contraire possède, au regard d’une conscience délicate, une valeur supérieure.

Il convient d’autant mieux de s’en tenir à cette méthode et de la préférer à l’enseignement dogmatique de tel ou tel système philosophique, que ces systèmes mêmes, comme ceux que chacun de nous se forme, ne sont, en fait, que la réflexion des grands esprits sur les notions morales dont vit l’humanité. Kant le reconnaît, lui qu’on serait tenté de citer comme le type du pur spéculatif. Il part, nous dit-il, des notions morales communes. L’existence de la morale est pour lui un fait, comme celle de la science. Sa philosophie ne saurait viser à la construire, non plus qu’à construire les lois de la nature. Dans la Critique de la raison pure, il a expliqué comment la science est possible, c’est-à-dire intelligible : dans la Critique de la raison pratique, il réfléchit de même sur la morale telle qu’elle nous est donnée ; et il en dégage, à la manière du chimiste, les éléments essentiels, en les déterminant dans leur nature et dans leur rôle.

Les plus grands génies n’ont donc pas procédé, dans l’établissement de leurs systèmes de morale, autrement que le vulgaire. Il ne s’ensuit d’ailleurs en aucune façon que nous devions tenir leur œuvre