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ix
avant-propos

la vie, et non pas seulement de la pensée. Or, sans parler de la difficulté, pour des intelligences encore peu exercées, de comprendre ces savants systèmes, qui oserait attribuer à l’un d’eux une certitude permettant d’en rendre l’enseignement obligatoire ? On peut certes leur donner la forme démonstrative des mathématiques : on ne change pas pour cela la nature des principes sur lesquels ils reposent. C’est un fait indéniable que ces principes : devoir, bonheur, dignité, droit, liberté, plaisir, intérêt, solidarité, lutte pour la vie, existence sociale, égalité, existence nationale, sont tous plus ou moins dépourvus de l’évidence et de l’exactitude qui caractérisent les notions mathématiques. Aussi demeurent-ils debout les uns en face des autres, sans qu’aucun d’eux soit jamais assuré d’une victoire définitive. Livré aux systèmes, l’enseignement serait obscur, prétentieux, abstrait, et sujet aux fantaisies ou au dogmatisme des individus.

Faut-il donc s’adresser à la science proprement dite et lui demander de déduire les lois de la morale, en partant de celles de la vie et de la sensibilité ?

Descartes l’a dit, lui qui pourtant souhaitait de constituer une morale scientifique : la morale, ainsi entendue, ne peut venir qu’à la suite de toutes les autres sciences. Son objet est le plus complexe de tous. Tant que les autres sciences sont imparfaites, il est prématuré d’aborder celle-là. On risque de se tromper du tout au tout en développant avec conséquence des principes incomplets ou erronés. Cepen-