Page:Boutroux - Questions de morale et d’éducation.djvu/18

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
vi
avant-propos

cision, si l’on veut qu’elles soient aussi salutaires dans la réalité qu’elles paraissent satisfaisantes au point de vue logique. Rousseau, on le sait, se rassurait sur le caractère d’absolutisme que présentait, dans sa théorie, le pouvoir souverain, en se disant qu’il ne pouvait y avoir oppression là où il ne s’agit que de forcer les hommes à être libres. Il ne faudrait pas se tranquilliser de parti pris sur la légitimité du maniement des consciences à l’aide de raisonnements analogues à celui de Rousseau.

Certes, nous devons placer le terme de l’éducation dans cette identification de la volonté avec la loi, qui seule assure la pratique du bien et lui donne tout son prix. Mais cette fin même montre assez quel scrupule dans le choix des moyens s’impose à l’éducateur. En effet, pour que l’autonomie de la conscience soit vraie et morale, et non illusoire, il faut, d’une part, que la loi avec laquelle s’identifie la volonté ait un caractère d’universalité aussi parfait que possible, et que, d’autre part, la volonté conserve toute sa liberté et tout son ressort. Mais combien il est à craindre que le genre d’autonomie que créera l’éducateur ne ressemble pas à celle-là ! Est-il sûr qu’il s’en tiendra aux idées, aux lois vraiment universelles, qu’il renfermera son action sur l’âme de l’enfant dans de justes bornes, s’il s’attribue pour mission propre de lui forger une conscience ? Sa sollicitude même, le zèle avec lequel il enveloppera l’enfant et lui fera un milieu à souhait, ne risqueront-ils pas de se retourner contre lui ? Et ne pourra-t-il pas arriver que, plus il travaillera