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avant-propos

ne disposons pas de moyens suffisants pour accomplir une pareille tâche ; nous n’avons pas le droit d’y prétendre. Nous nous sentons forts, je le veux, de nos convictions, de notre volonté de bien faire. Mais qui nous dit que nos convictions ne font pas à d’autres l’effet de fantaisies individuelles ? Qui nous dit que notre action ne sera pas taxée d’accaparement, d’oppression morale ? À cela l’on répondra peut-être qu’il y a un moyen de légitimer et de rendre efficace ce maniement des consciences : c’est de le faire régler et sanctionner par les lois de l’État ou par telle autorité reconnue. Mais l’entreprise de modeler une conscience n’est pas moins contraire à l’idée de la dignité humaine, que ce soit l’État ou un individu qui la poursuive. La force dont dispose l’autorité publique peut même la rendre plus odieuse.

N’y aurait-il pas cependant un moyen suprême d’échapper à ces objections ? Ne s’évanouissent-elles pas, si l’on pose en principe que, sous aucun prétexte, l’action de l’éducateur ne doit tendre à opprimer la conscience, mais qu’au contraire il a pour mission de créer des hommes capables de penser et de se conduire par eux-mêmes, ayant en eux, avec la règle morale et l’idée du devoir, la volonté de s’y conformer, par cela seul qu’ils se sentent libres ? Comment l’éducation morale serait-elle une prise de possession des consciences, si ce qu’elle doit créer c’est proprement l’autonomie de la conscience ?

Ces formules demandent à être définies avec pré-