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C’est à ce moment pourtant qu’il sent dans toute sa force la difficulté qu’il y a pour lui à croire. Sa raison le porte à croire, et néanmoins il ne le peut. Il sent en lui une résistance invincible. Il sait sa maladie, et il refuse la guérison ; il comprend qu’il est perdu, et il tend les mains à l’abîme.

Il ne se doutait pas de la puissance du lien qui l’attachait au monde il la connaît maintenant. Il avait cru ne faire que se prêter, sur la foi des beaux-esprits et des philosophes, qui lui représentaient l’homme comme maître de soi il s’aperçoit qu’en réalité il s’est donné tout entier, il s’est aliéné. L’obstacle n’était donc pas dans sa raison, comme il l’avait supposé, mais dans son cœur, dans son moi, dans sa nature la plus intime. Or comment descendre en ces profondeurs ? Comment agir sur ce qui produit l’action ? Comment être ce qu’on n’est pas, et ne pas être ce qu’on est ?

Pour produire un tel effet, c’est peu que le Dieu des philosophes, auquel sa raison, sans doute, pourrait le conduire. Que vaut une idée, une abstraction, un signe algébrique, pour lutter contre des forces vivantes et indociles, pour créer l’être, la volonté et l’action ? Quelle différence entre ce terme logique, et le Dieu d’Abraham, de Jacob et de Jésus-Christ, créateur, père et juge, dont les saints ont joui, et en qui les justes veulent et agissent ! Mais comment aller à lui ? Comment, dans un cœur révolté, un mouvement d’amour vrai pourrait-il naître ? De quelle foi sincère et efficace est capable un être qui prétend se suffire ?

Pascal comprend maintenant d’où venait cette