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âme elle-même était en quelque sorte indifférente. Il pouvait recevoir également les principes de la religion et ceux de la science, si les uns et les autres lui apparaissaient comme justifiés par des raisonnements exacts. Mais maintenant il a pris conscience des tendances et des besoins intimes qui constituent proprement la nature humaine. Son cœur est attaché aux biens qui répondent directement à ces tendances. Malgré qu’il en ait, un parallèle s’établit dans son esprit entre ces réalités, imparfaites sans doute mais palpables, et des objets dont toute la sublimité rachète mal le caractère d’abstraction et d’incertitude.

Pascal, en cette année 1654, était tout occupé de la règle des partis, sur laquelle il correspondait avec Fermat. Il appliqua à la question de l’existence de Dieu les considérations qu’il employait dans cette branche des mathématiques.

Dieu est, ou Dieu n’est pas. La raison n’y peut rien déterminer. Il ne me reste qu’à évaluer les chances pour et les chances contre. C’est un jeu où il arrivera croix ou pile. Que parierai-je ?

Mais faut-il parier ? Quelle nécessité y a-t-il de courir cette étrange aventure ? Ne puis-je écarter de moi ce problème, dont la solution, quelle qu’elle soit, me laissera mécontent et troublé ? — Je ne le puis. Chacune de mes actions, chaque mouvement de ma volonté implique une certaine solution de ce problème unique. Il n’en est pas de l’existence de Dieu comme des questions scientifiques, qui ne me touchent point. Il est trop clair que je dois agir autrement, si Dieu est ou si Dieu n’est pas. Donc il faut