Page:Boutroux - Pascal.djvu/67

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

même dont il développe les replis. Il va l’explorer, à la manière de Descartes, de Montaigne, en s’inspirant de ces habiles scrutateurs de l’homme, mais surtout en regardant en lui-même et autour de lui. Et le résultat de ses observations est une véritable théorie philosophique.

Quelle est notre destination en ce monde ? C’est d’aimer.

En effet, d’une part notre essence est la pensée, d’autre part, la pensée pure nous fatigue, parce qu’elle est immobile, et que nous sommes ainsi faits qu’il nous faut du remuement. Donc ce qui convient proprement à notre nature, c’est la passion, laquelle n’est autre chose que la pensée affectée de mobilité.

Les passions les plus propres à remplir le cœur de l’homme sont l’amour et l’ambition. Mais l’amour est la passion par excellence. Car il joint la plus grande part de raison au plus haut degré d’intensité. On a mal à propos opposé la raison à l’amour : ils ne sont qu’une même chose. L’amour est une précipitation de pensée qui se porte d’un côté sans bien examiner tout, mais c’est toujours une pensée. S’il était aveugle, nous serions des machines très désagréables. En même temps l’amour comporte une puissance en quelque sorte infinie. La grandeur des passions dépend de la perfection de l’esprit. Or, l’homme est capable de deux sortes d’esprit, qu’on peut appeler l’esprit géométrique et l’esprit de finesse. Le premier déduit avec méthode les multiples conséquences d’un principe unique, le second embrasse d’une vue mille détails. Quand on possède à la fois l’esprit géométrique et