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vide infini qu’il y laissait a été rempli par notre moi et par les choses de la vie présente. Dès lors, notre amour, ne sachant où se prendre, s’est attaché à ces objets. L’horreur de la mort, que nous éprouvons, vient de cet amour déréglé. Et ainsi elle est, au fond, l’horreur primitive de la mort de l’âme, détournée de sa fin et appliquée faussement à la mort du corps. Il ne peut donc être question de l’abolir, ce qui, d’ailleurs, serait impossible, mais de la ramener à sa forme vraie. À mesure que nous redouterons davantage la mort spirituelle, la mort corporelle nous inspirera moins d’épouvante.

Est-ce à dire que nous puissions réussir à envisager sans souffrance naturelle la mort d’un être cher ? Nous ne le pouvons ni ne le devons. Car l’action de la grâce, par laquelle seule nous nous détachons de nos impressions naturelles, se heurte nécessairement à l’effort contraire de notre concupiscence et c’est la meurtrissure douloureuse de celle-ci qui mesure le progrès de celle-là. Pleurons donc notre père, cela est juste. Soyons consolés, cela est juste également ; et que la consolation de la grâce l’emporte sur les sentiments de la nature.

Les déductions de Pascal sont très serrées Peut-être le chrétien raisonne-t-il ici plus qu’il n’est ému. En revanche, l’homme parle avec un sentiment singulièrement profond et délicat de ce que peut la nature humaine pour manifester sa piété envers les morts.


« J’ai appris d’un saint homme, dit Pascal, qu’une des solides et utiles charités envers les morts est faire les choses qu’ils nous ordonneraient s’ils étaient encore au monde,