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taire ne voulut voir dans les idées religieuses de Pascal que l’effet de la compression exercée sur son génie par l’esprit de son temps. Un fou sublime né un siècle trop tôt : c’est ainsi qu’il le caractérise et il le poursuit de ses sarcasmes, lui reprochant d’avoir calomnié la nature humaine, et d’avoir follement enseigné à l’homme qu’il doit être mieux qu’un homme. Condorcet conçut dans ce sens la célèbre édition qu’il donna des Pensées en 1776. Il y plaint tour à tour et y gourmande Pascal de s’être laissé opprimer par la superstition. Tel est encore le point de vue d’André Chénier, lorsqu’il condamne, avec une mordante éloquence, ce Pascal, qui, dit-il, employa tant de talent et de génie à maudire le bon sens qui examine et à se révolter contre le doute ; homme arrogant et orgueilleux sous les formes de l’humilité, indigné qu’aucun mortel se crût permis de secouer un joug qu’il voulait porter lui-même.

Pour mieux s’expliquer comment un si grand génie avait pu subir une pareille défaillance, on s’habitua à voir en lui un malade. Condorcet avait parlé d’une amulette de Pascal. Il appelait ainsi le mémorial qu’on trouva dans son pourpoint après sa mort. Voltaire avait reproduit la légende d’un abîme que Pascal aurait cru voir à côté de sa chaise pendant la dernière année de sa vie. Le Recueil d’Utrecht racontait un accident étrange, qui serait arrivé à Pascal sur le pont de Neuilly, et qui aurait frappé son imagination. Rassemblant et commentant ces historiettes, on en vint à croire que Pascal avait été un halluciné et un fou, au moins par intervalles ; et