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l’effet du péché, par lequel le moi s’est préféré à Dieu. Mais, régénéré par la grâce, le cœur se détache de son idole pour aller au Dieu véritable et, soumis lui-même, il domine et dirige à bon droit toutes nos facultés.

Les sens, que nous faisons juges des choses divines, à la lumière desquels nous prétendons résoudre le problème de notre destinée, ne se rapportent en effet qu’au monde matériel créé par Dieu. Ils perçoivent les faits physiques, comme le cœur, détaché des sens, perçoit les vérités morales et les premiers principes. Dans leur domaine, ils sont des témoins sûrs, les seuls à qui appartiennent la compétence et l’autorité.

Notre raison est située entre ces deux puissances d’intuition, comme un serviteur entre deux maîtres. Ce fut l’erreur des philosophes, de lui prêter des principes propres et la puissance de se suffire. Tous les principes que ces faux sages s’imaginent tirer de la raison viennent, en réalité, de nos sens ou de notre cœur corrompus. La raison n’a point de principes propres. Sa fonction légitime est de se joindre aux sens, quand il s’agit de connaître le monde des corps, aux impressions de la grâce sur la volonté quand il s’agit de connaître les choses divines. Entre la science de la nature et la religion il n’y a point de place pour la philosophie : cette prétendue science n’est que le dernier effort de l’orgueil humain pour s’égaler à Dieu et rendre la croix inutile.

Et ainsi il y a trois ordres d’existences : celui des corps, celui des esprits et celui de l’amour de Dieu ; et la distance infinie qui sépare le premier du second,