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et la perfection. Mais comment amener des hommes entêtés de leur suffisance à reconnaître qu’ils ne se suffisent pas ? Comment prouver à des indifférents, à des orgueilleux, qu’ils doivent sortir de leur quiétude, désirer leur humiliation ? Le premier point était d’étudier les moyens de persuader les hommes, de rechercher la méthode qu’il convenait d’adopter, l’ordre suivant lequel les raisons devaient être disposées.

Il y a une grande différence entre connaître Dieu en païen, qui ne voit en Dieu qu’une vérité géométrique en juif, qui ne voit en lui qu’une providence s’exerçant sur la vie et les biens des hommes ou en chrétien, à qui Dieu fait sentir qu’il est son unique bien. C’est ce troisième genre de connaissance qu’il s’agit de susciter.

Or dès l’abord se dresse une contradiction qui semble frapper d’avance tous nos efforts de stérilité. La fin cherchée est la transformation de la volonté et du cœur. Or une telle opération n’est possible qu’à la grâce divine, et la grâce est toute gratuite et surnaturelle. Créatures corrompues, nous ne pouvons rien pour provoquer, soit en nous, soit chez les autres, l’action de la grâce. Nous ne disposons que de modifications extérieures, sans effet sur le cœur, si Dieu ne s’en mêle. Quelle place pour notre action peut-il y avoir à côté de l’action divine ?

La contradiction serait insoluble, s’il fallait se représenter l’homme et Dieu comme existant l’un à côté de l’autre dans un milieu tel que l’espace. Alors l’action humaine, limitant l’action divine, en serait la négation ; et l’action divine, en détendant à l’infini,