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Le fondement de leur système est la doctrine scolastique des opinions probables. Les jésuites, en se l’appropriant, y ont mis leur marque. Leur probabilisme consiste à assimiler les vérités de la conscience et de la foi aux choses naturelles que nous ne connaissons que par le témoignage des hommes. Tel événement s’est-il passé à Rome ? Il est juste que sur ce point je m’en rapporte à un témoin de grand poids. Est-il permis de mentir, de voler, de tuer ? La question, pour les jésuites, est de même nature. Elle se résout en consultant les docteurs graves, notamment les casuistes de leur compagnie. Une opinion est probable, et peut être reçue en sûreté de conscience, dès qu’elle a pour elle l’autorité de quelque homme savant. Le témoignage d’un seul docteur grave suffit à rendre une opinion probable. Dans le cas de contradiction entre les docteurs, l’une et l’autre des opinions contraires est probable. L’opinion la moins probable est encore probable. Et ainsi ma conscience m’est inutile, il me suffit de celle de Basile Ponce ou du père Bauny.

C’est contre ce probabilisme que Pascal dirige ses premiers coups. Que faites-vous, dit-il, du sentiment des Pères, lorsqu’il est contraire à l’opinion de quelques-uns de vos casuistes ? — Les Pères, répond le Père jésuite, étaient bons pour la morale de leur temps, mais ils sont trop loin de nous pour nous diriger. Nous qui gouvernons les consciences, nous les lisons peu, et nous ne citons que les nouveaux casuistes : Villalobos, Conink, Llamas, Achokier. Dealkozer, Dellacruz, etc., etc., dont le plus ancien ne date pas de quatre-vingts ans.