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sitoire est tout, l’être intime et permanent n’est rien. Et même les actions sont d’autant plus excusables qu’elles partent d’une âme plus corrompue et plus inconsciente. Pour Pascal, l’être est le principal, et nos actions tirent leur signification morale de ce fond de notre âme, où parfois notre conscience ne peut atteindre. Cependant, il ne peut se borner à cette réfutation indirecte de la pratique des jésuites. Déjà il a pris connaissance de leurs écrits moraux : il en a été effrayé. Et il a compris que le relâchement de leur morale était la vraie cause de leur doctrine touchant la grâce. S’ils maintenaient les grands devoirs de la vie chrétienne, le renoncement à soi et l’amour de Dieu, ils ne pourraient se soustraire à la nécessité d’attendre de Dieu seul la force de les accomplir. Mais pour pratiquer une morale toute païenne, la nature suffit. L’homme n’a que faire de la grâce pour exécuter de simples actes matériels, sans souci de la transformation de son âme.

Dès maintenant donc, Pascal médite un changement de méthode. Au lieu de s’attarder à discuter des thèses théologiques, il se jettera en pleine réalité. Il montrera ce que les jésuites font de nos devoirs les plus sacrés, comment ils entendent la direction des âmes, quelles sont les fins qu’ils poursuivent, quels moyens ils emploient pour les réaliser. C’est au public que s’adresse Pascal. Or le public est principalement touché, et avec raison, des préceptes relatifs à la vie pratique.

Pascal s’est peu à peu passionné pour une œuvre où il ne voyait d’abord qu’une occasion de servir ses amis. Maintenant il veut tout dire, il veut tout