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notre place dans le monde matériel, nous voyons que nous sommes un milieu entre un infiniment petit et un infiniment grand ; un tout à l’égard d’un néant, un néant à l’égard d’un tout. Si maintenant nous cherchons quelle est la place de l’homme dans l’ensemble des choses naturelles et surnaturelles, sa condition dans le monde matériel nous est un symbole qui nous aide à la concevoir. Son esprit, sa pensée, qui est son être propre, n’est-il pas comme suspendu entre le monde naturel, qui est infiniment au-dessous de lui, et le monde de la charité ou amour de Dieu, qui est infiniment au-dessus ? C’est ainsi qu’en méditant sur les objets de la géométrie, l’homme apprend à s’estimer à son juste prix, et à former des réflexions qui valent mieux que toute la géométrie.

Ces réflexions, c’était, dans l’esprit de Pascal, le premier dessein du grand ouvrage qu’il devait préparer plus tard contre les athées. Son principe est dès maintenant déterminé. Ce n’est plus cette séparation pure et simple de la raison et de la foi, que lui avait enseignée son père. Ce n’est pas non plus l’abolition de la raison au profit de la foi. Science et religion ont des domaines distincts, et en même temps il y a entre elles certains rapports. La science donne à l’esprit une netteté, une justesse, une force de raisonnement qui ont leur emploi partout. Elle aide à l’homme à se connaître, elle lui fournit des notions qui l’invitent à regarder au-dessus du monde et de lui-même. L’homme naturel, avec sa raison et sa science, n’est pas la mesure de la vérité et ne peut embrasser l’ordre des choses divines ; mais la