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tout de suite au premier rang. Il en conclut que d’avoir travaillé tout seul, ou même de n’avoir pas travaillé du tout ne lui avait pas été si défavorable.

L’un des exercices vers lesquels il se sentit le plus attiré fut le vers latin. Il l’aimait, parce que, pour y réussir, il faut autre chose que la docilité passive du fort en thème, à savoir de l’imagination, de l’esprit et du rythme. Il devint bientôt le plus fort de sa classe en vers latins. Il était stimulé par un répétiteur de sa pension, qui s’appelait Eugène Despois. Ce n’était pas un répétiteur ordinaire. Sous son influence, P. Janet et un de ses camarades nommé de Vanne, qu’avait également distingué Despois, se prirent d’enthousiasme pour les maîtres de la poésie latine. Ils se levaient la nuit pour aller dans la chambre de leur maître, et on y restait jusqu’à cinq heures du matin à lire Virgile et Horace. Après quoi, on dormait en classe et en étude, toute la journée.

La seconde passion de Paul Janet au lycée fut la philosophie. À la fin de sa vie il partait encore avec émotion et reconnaissance des leçons de son excellent professeur de philosophie du lycée Saint-Louis. « S’il m’est permis, dit-il en 1897, d’évoquer d’illustres exemples, moi aussi, j’ai senti la vocation philosophique se manifester en moi en entendant les premières leçons de mon maître en philosophie, le vénéré M. Gibon. Il n’était pas éloquent, car il lisait ses leçons ; mais il était grave, convaincu, d’un esprit libre et indépendant : je lui dois un amour de la philosophie qui n’a jamais tari depuis tant d’années… »

Quelle fut, en réalité, la part de M. Gibon dans la vocation de M. Janet ? Il est clair qu’à travers l’enseignement, quel qu’il fût, ce que celui-ci chercha d’instinct et démêla, ce fut la philosophie elle-même, dans son essence et dans sa vie propres, comme un esprit naturellement mathématicien aperçoit des figures idéales derrière les formes imparfaites de la réalité sensible. La secousse qu’éprouva Janet ne paraît pas s’être produite chez les autres élèves de M. Gibon.

Au terme de son année de philosophie, âgé de dix-huit ans, il se présenta à l’École Normale. Il fut admis le douzième, à la suite d’Antonin Rondelet, dans une promotion qui avait à sa tête Sommer, et, a la suite de Sommer, Hippolyte Rigault. Il eût été classé plus loin sans l’érudition remarquable dont il fit preuve en histoire. L’examinateur, notre vénéré maître M. Wallon, lui ayant demandé s’il pouvait indiquer la suite des empereurs romains, il en récita la liste sans broncher, d’Auguste à Septime Sévère, sans omettre une date, et il eut une bonne note. Il devait cette science à son professeur d’histoire du lycée, qui, ne sachant pas tenir sa classe, donnait force pensums, à tort et à travers, et pour qui il avait ainsi copié la liste des empereurs un si grand nombre de fois, qu’il avait fini par la savoir par cœur.

L’École Normale, alors, se trouvait encore rue Saint-Jacques, dans le vieux collège Du Plessis. Elle avait pour directeur Dubois, pour sous-directeur Vacherot. Janet a conservé un bon souvenir de Dubois. En effet, ce directeur libéral institua la sortie du jeudi, de quatre heures à huit : ce qui fut un grand soulagement. Il établit aussi la sortie du soir jusqu’à minuit, quatre fois par an. La première fois qu’eut lieu cette sortie extraordinaire, la joie de M. Janet fut de l’ivresse ; il pourrait donc encore aller au théâtre ! Il consacra sa soirée à voir Rachel dans Le Cid.

Il était arrivé à l’École avec un vif désir d’avancer en philosophie. À cet égard l’enseignement glacé, timidement écossais du fougueux républicain