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l’être d’un poète grotesque et cul-de-jatte, et cependant introduite précisément par ce mariage dans la société de la cour, et, une fois devenue veuve, s’y maintenant et s’y répandant par la haute distinction de sa personne et par une sorte de génie de dame de compagnie toujours empressée à se rendre utile dans la direction d’une maison ; choisie bientôt comme gouvernante des enfants d’un roi, mais adultérins ; en lutte avec la maîtresse et bientôt victorieuse dans cette lutte ; reine enfin in partibus et mariée au plus grand monarque de la chrétienté, et, après toutes ces grandeurs, allant mourir obscurément dans un pensionnat de demoiselles ; on peut dire d’elle ce que La Bruyère disait de Lauzun : « On ne rêve point comme elle a vécu. »

Philosophe, moraliste, littérateur, écrivain, aussi préoccupé d’application que de théorie, M. Janet était admirablement préparé à traiter les questions d’éducation. Les circonstances, aussi bien que ses goûts, l’y amenèrent ; et cette partie de son œuvre n’est pas la moins importante.

Dès 1871, Jules Simon, alors ministre de l’instruction publique, s’étant formé une sorte de conseil intime composé d’universitaires en qui il avait confiance, y appela M. Janet. Plus tard, lors de la réorganisation du Conseil supérieur par Jules Ferry en 1889, M. Janet y entra comme délégué des Facultés des lettres. Il y siégea jusqu’en 1896, et fut membre de la section permanente. Il rapporta plusieurs projets importants, notamment ceux qui concernaient l’enseignement de la philosophie dans les plans d’études de 1880 et 1885. C’est sur sa proposition que, dans le programme de 1880 la morale fut replacée avant la théodicée, et qu’une note fut ajoutée, portant que l’ordre adopté dans le programme n’enchaînait pas la liberté du professeur. C’est d’un savant et vigoureux rapport rédigé par lui que sont extraites les considérations sur l’enseignement de la philosophie qui figurent dans les Instructions ministérielles de 1890.

Soit dans les délibérations du Conseil, soit dans de nombreux et importants articles de revues, il conforma très fidèlement sa pratique à sa théorie : constamment libéral et ami du progrès, mais se défiant des nouveautés qui ne se rattachaient pas à la tradition, demandant que l’on conservât en transformant, plaçant d’ailleurs le progrès dans une culture toujours plus haute, plus rationnelle, plus conforme à la dignité et au devoir de la personne humaine.

De ce point de vue, il maintenait nettement les droits de l’éducation intellectuelle en face des besoins pratiques, des intérêts politiques, et même en face des droits de l’éducation morale proprement dite. L’intelligence, selon lui, devait être cultivée pour elle-même, parce qu’elle est une pièce de la dignité humaine. On ne peut songer à la façonner et à la contraindre, fût-ce en vue de la vie morale, puisque la morale même commande de la considérer comme une fin.

En particulier, M. Janet défendit énergiquement, en toutes circonstances, les droits de la philosophie, ou recherche impartiale du vrai par la raison, et il veilla à ce que l’enseignement de cette science demeurât libéral, élevé, sincère et autonome.

Dans le même sens, tout en acceptant les modifications matérielles que pouvaient réclamer l’esprit et la vie modernes, il restait attaché au principe des études classiques, comme à la source par excellence de l’éducation libérale ; et il ne dissimulait pas ses scrupules et son inquiétude, toutes les fois qu’elles lui paraissaient menacées de diminution ou d’altération.

Et encore, dans la question de l’éducation des femmes, il se déclarait d’emblée