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52. Et c’est par là, qu’entre les créatures les actions et passions sont mutuelles. Car Dieu comparant deux substances simples, trouve en chacune des raisons, qui l’obligent à y accommoder[1] l’autre et par conséquent ce qui est actif à certains égards, est passif suivant un autre point de considération[2] : actif en tant, que ce qu’on connaît distinctement en lui, sert à rendre raison de ce qui se passe dans un autre ; et passif en tant que la raison de ce qui se passe en lui, se trouve dans ce qui se connaît distinctement dans un autre (§ 66).

53. Or, comme il y a une infinité d’univers possibles dans les Idées de Dieu et qu’il n’en peut exister qu’un seul, il faut qu’il y ait une raison suffisante du choix de Dieu, qui le détermine à l’un plutôt qu’à l’autre[3] (§ 8, 10,44, 173, 196 et s. 225, 414-416).

54. Et, cette raison ne peut se trouver que dans la convenance[4], ou dans les degrés de perfection, que ces

  1. L’accommodation consiste à rendre distincte dans une monade la perception des choses qui sont perçues confusément dans une autre, et réciproquement ; de telle sorte que l’univers entier soit perçu distinctement par l’ensemble des monades, sans que deux monades aient exactement le même champ de perception, soit distincte, soit confuse (Voy. sup., p. 45).
  2. Leibnitz dit le plus souvent : « point de vue ». Cette locution, qui répond à l’une des idées maîtresses de son système, paraît avoir été introduite par lui dans la langue philosophique.
  3. Leibnitz fait ici, du principe de raison suffisante, cet usage que Kant appelle transcendant. Non content d’appliquer son principe aux détails du monde et de chercher la raison suffisante de ces détails dans d’autres détails analogues, l’applique à l’ensemble des choses, et cherche, comme il est dès lors inévitable, la raison du conditionné dans un inconditionné sans analogie avec ce qu’il s’agit d’expliquer.
  4. Leibnitz s’approprie la distinction qu’établissait l’École entre la nécessité morale et la contrainte. On enseignait que l’amour de Dieu pour le bien qui est lui-même, et aussi l’amour des bienheureux pour Dieu, est nécessaire, mais non contraint. De même, Leibnitz distingue entre la nécessité métaphysique et la nécessité morale. La première est fondée sur le principe de contradiction et se réalise par la seule opération de l’entendement ; elle est absolue. Ainsi Dieu ne peut pas faire que le tout soit plus petit que la partie. La seconde est fondée sur le principe de la convenance, qui est une expression du principe de raison suffisante, et implique l’intervention de la volonté. Elle incline, sans nécessiter véritablement. Si la puissance de Dieu peut réaliser un monde quelconque, sa sagesse l’incline à réaliser le meilleur monde possible, et ainsi il ne veut pas tout ce qu’il peut. C’est encore une nécessité, mais une « heureuse nécessité », par laquelle Dieu est infailliblement tout-sage et tout-bon, en même temps qu’il est tout-puissant (Voy. sup., p. 86).