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que les vues philosophiques ne sauraient avoir aucune répercussion sur les travaux des techniciens. Et, d’autre part, ils se montrent si attachés à leurs propres idées sur la science qu’ils supportent avec peine de les voir mises en cause. C’est qu’en effet ces idées, auxquelles ils n’attribuent aucune valeur absolue, sont cependant les conditions indispensables de leur activité scientifique. Et ils ont peur qu’en les ébranlant on ne porte atteinte aux ressorts de leur énergie. Sentiment fort naturel et fort respectable, mais qui nous montre combien il est nécessaire d’être prudent lorsqu’on cherche à interpréter certains témoignages.


Qu’on se garde, cependant, d’attribuer aux observations qui précèdent un sens qu’elles ne comportent pas. Du fait qu’il est malaisé à l’auteur d’une œuvre scientifique d’analyser lui-même la genèse de ses idées, il serait absurde de conclure que le jugement du savant doit être récusé dans les discussions relatives aux principes de la science. Il faut reconnaître, au contraire, que la complexité et la subtilité mêmes des questions débattues exigent qu’elles soient traitées par les hommes qui ont étudié la science à fond et qui sont à même de la pratiquer personnellement. Mais le spécialiste, quand il entre dans le débat, doit soigneusement éviter d’être à la fois juge et partie, et il n’y parvient qu’à la condition de sortir momentanément de lui-même. Il sera suspect de partialité s’il se borne à décrire sa propre expérience ; il apportera, au con-