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hiérarchique, l’individualisation. Le rapport qui existe entre les propriétés physiques et les fonctions vitales n’est donc pas immédiatement nécessaire, comme il arriverait si les secondes étaient, d’avance, contenues dans les premières. Cependant, même à titre de lien entre des choses radicalement distinctes, ce rapport est nécessaire s’il est affirmé dans une synthèse causale à priori. Or en est-il ainsi ? Le concept de la vie est-il construit par l’entendement pur ?

Si l’on entend par la vie un principe un, simple, immatériel, qui coordonne des moyens en vue d’une fin, l’idée de la vie ne peut dériver de l’observation des êtres vivants. Car nous ne voyons pas qu’ils aient jamais une unité absolue. Ce sont, il est vrai, des organismes ; mais les parties en sont elles-mêmes des organismes, doués, dans une certaine mesure, d’une vie propre, jusqu’à ce que l’on arrive à la cellule qui, en se segmentant, donne naissance à plusieurs cellules, et, par conséquent, n’est pas radicalement une. De même, l’idée de la finalité organique ne résulte certainement pas de l’expérience. Celle-ci nous montre sans doute des organes en harmonie avec leurs fonctions ; mais elle ne nous apprend pas si l’organe a été créé en vue de la fonction, ou si la fonction est simplement le résultat de l’organe.

Ainsi l’idée d’un principe vital un et intelligent est à la vérité une idée à priori, mais cette idée n’est nullement présupposée par la connaissance des êtres vivants. Si elle peut être admise, c’est comme interprétation métaphysique des faits, non comme point de départ de la recherche expérimentale. On ne voit pas quel secours peut prêter à l’observation et à l’explication scientifiques des phénomènes le concept d’une essence qui n’est pas du même genre qu’eux, et qui, par suite, ne saurait fournir une règle applicable aux cas fournis par l’expérience. Ces principes transcendants,