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peuvent avoir d’autre origine que l’expérience elle-même.

Le principe de la conservation de la quantité mesurable à travers les transformations de l’étendue et du mouvement n’est donc pas imposé aux choses ou à la connaissance des choses par la raison : il n’est qu’un résumé de l’expérience.

Mais n’est-il pas, à ce titre même, investi d’une autorité incontestée ? N’est-il pas pratiquement assimilé à un principe à priori ? Ne forme-t-il pas le point de départ d’un développement purement analytique dans les mathématiques pures et la mécanique rationnelle ?

Il ne faut pas que la forme déductive de ces sciences nous fasse illusion : les conclusions en sont purement abstraites, comme les données. Elles déterminent ce qui arrivera, si certaines figures mobiles sont réalisées, et si la quantité mesurable y demeure constante. On ne peut, sans tourner dans un cercle vicieux, considérer les faits comme nécessaires, au nom d’un principe dont la légitimité ne repose que sur l’observation des faits. L’expérience, à laquelle le principe mathématique doit sa valeur, en limite elle-même la portée. Nous n’avons pas le droit d’ériger ce principe en vérité absolue et de le promener en quelque sorte à travers toutes les sciences, à travers la morale elle-même, en renversant aveuglément tout ce qui s’oppose à son passage. Cette formule algébrique ne crée pas, ne gouverne même pas les choses : elle n’est que l’expression de leurs rapports extérieurs.

Cependant, même en ce sens, ne rend-elle pas invraisemblable l’existence d’un degré quelconque de contingence dans la production du mouvement ?

On voudrait pouvoir concilier les deux principes, et il semble, au premier abord, que la chose soit possible : la conservation de la force, en effet, exclut-elle un emploi contin-