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dont les propriétés logiques contiennent à la fois les éléments, la loi et la raison d’être. Elles renferment un élément nouveau, hétérogène, irréductible : la continuité.

Toutefois, il ne s’ensuit pas immédiatement que l’existence des propriétés mathématiques soit contingente. Ne peut-on, en effet, les considérer comme conçues à priori et imposées, de ce chef, à la nature des choses ? La connaissance de la continuité dans la coexistence et la succession, c’est-à-dire la connaissance de l’espace et du temps, ne présente-elle pas les caractères d’une intuition rationnelle ? Quant au mouvement, l’idée que nous en avons ne peut-elle être due à une élaboration de l’espace et du temps opérée par l’esprit lui-même ?

Cette doctrine est sans doute légitime s’il s’agit de l’espace et du temps considérés comme des choses en soi, unes et infinies, capables de subsister lors même que les phénomènes seraient anéantis, et s’il s’agit du mouvement considéré dans son commencement absolu, comme acte d’une spontanéité primordiale. Car l’expérience et l’abstraction ne peuvent rien nous fournir de tel. Mais ce n’est pas en ce sens que les sciences qui ont pour objet le monde donné considèrent l’espace, le temps et le mouvement. L’espace n’est pour elle qu’une étendue qui se prolonge indéfiniment, sans autre limite que des étendues nouvelles ; le temps n’est qu’une durée indéfinie ; le mouvement n’est que le changement de position d’une chose par rapport à une autre.

S’il en est ainsi, l’expérience suffit à rendre compte des concepts scientifiques de l’espace, du temps et du mouvement. Elle nous présente, en effet, une série d’objets étendus et mobiles, dont nous ne voyons jamais la fin, quelque portée que nous sachions donner à nos regards.

Dira-t-on que dans l’étendue, la durée et le mouvement il y a déjà de l’unité, et qu’un concept qui implique de l’unité,