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Mais peut-on dire qu’il se produise de telles variations ? La tentative d’expliquer les phénomènes ne nous met-elle pas tôt ou tard en présence de ce qu’on appelle la nature des choses, c’est-à-dire de propriétés et de rapports immuables ? Si le torrent se creuse lui-même son lit, est-ce de lui-même que, d’abord, il coule dans tel ou tel sens ? Sous les lois qui résultent du changement, n’y a-t-il pas celles qui le déterminent ? Celles-ci sont-elles encore variables ? Et le dernier mot n’est-il pas : « Tout change, excepté la loi du changement ? »

Il est, à coup sûr, légitime que l’esprit humain s’attache fortement à cette idée de la nature des choses, à laquelle il doit sa victoire sur le destin et les puissances capricieuses, son entrée et ses progrès dans la carrière de la science. Mais cette idée ne doit pas régner à son tour d’une manière exclusive, et ramener, sous une autre forme, la croyance à la fatalité. Si un premier regard jeté de ce point de vue sur l’univers a pu faire croire que les choses avaient en effet des propriétés immuables, une nature éternelle, où se trouvait la raison dernière de toutes leurs vicissitudes : un examen plus approfondi montre que ce qu’on avait pris pour le fond immuable des choses n’était encore qu’une couche mobile et superficielle ; et, à mesure que l’homme pénètre plus avant dans la réalité, à mesure recule devant lui ce fondement inébranlable qui devait tout supporter. Fort de l’idée des genres et des lois, l’esprit humain espérait remplacer les classifications artificielles par des classifications naturelles. Mais avec les progrès de l’observation, telle classification, que l’on croyait naturelle, apparaît à son tour comme artificielle ; et l’on se demande s’il ne conviendrait pas de substituer à toute systématisation rationnelle le dessin pur et simple d’un arbre généalogique. Or, s’il est impossible de trouver dans la nature un rapport parfaitement