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nécessité interne des choses, il faudrait, semble-t-il, pouvoir contester l’absolue régularité du cours des phénomènes et établir l’existence d’un désaccord, si petit qu’il fût, entre le postulat de la science et la loi de la réalité. Peut-être l’expérience ne nous en fournit-elle pas le moyen ; mais peut-on affirmer qu’elle prononce en faveur de la thèse contraire ?

Toute constatation expérimentale se réduit, en définitive, à resserrer la valeur de l’élément mesurable des phénomènes entre des limites aussi rapprochées que possible. Jamais on n’atteint le point précis où le phénomène commence et finit réellement. On ne peut d’ailleurs affirmer qu’il existe de pareils points, sinon peut-être dans des instants indivisibles, hypothèse vraisemblablement contraire à la nature même du temps. Ainsi nous ne voyons en quelque sorte que les contenants des choses, non les choses elles-mêmes. Nous ne savons pas si les choses occupent, dans leurs contenants, une place assignable. À supposer que les phénomènes fussent indéterminés, mais dans une certaine mesure seulement, laquelle pourrait dépasser invinciblement la portée de nos grossiers moyens d’évaluation, les apparences n’en seraient pas moins exactement telles que nous les voyons. On prête donc aux choses une détermination purement hypothétique, sinon inintelligible, quand on prend au pied de la lettre le principe suivant lequel tel phénomène est lié à tel autre phénomène. Le terme « tel phénomène », dans son sens strict, n’exprime pas un concept expérimental, et répugne peut-être aux conditions mêmes de l’expérience.

Ensuite, est-il bien conforme à l’expérience d’admettre une proportionnalité, une égalité, une équivalence absolue entre la cause et l’effet ? Nul ne pense que cette proportionnalité soit constante, si l’on considère les choses au point de vue de l’utilité, de la valeur esthétique et morale, en un mot de la qualité. À ce point de vue, au contraire, on admet