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de plus en plus, dont le côté visible se développe, et qui, par suite, exerce un attrait de plus en plus immédiat.

Parce qu’il y a, pour les êtres de tous les degrés, un idéal à poursuivre, il doit exister, en tous, un degré de spontanéité, une puissance de changement proportionnée à la nature et à la valeur de cet idéal. Mais la spontanéité des êtres inférieurs, aveugle et incapable de tendances médiates, subit, bien plus encore que celle de l’homme, la réaction suivant des changements mêmes qu’elle engendre ; et elle se détermine, se limite, s’absorbe dans les choses, à un point dont l’habitude humaine ne donne qu’une faible idée. L’instinct des animaux, la vie, les forces physiques et mécaniques sont, en quelque sorte, des habitudes qui ont pénétré de plus en plus profondément dans la spontanéité de l’être. Par là ces habitudes sont devenues presque insurmontables. Elles apparaissent, vues du dehors, comme des lois nécessaires. Toutefois cette fatalité n’est pas de l’essence de l’être ; elle lui est accidentelle. C’est pourquoi l’intervention des spontanéités supérieures, ou, sans doute, l’influence directe de l’idéal, peut tirer de leur torpeur les créatures les plus imparfaites, et exciter leur puissance d’action.

Ainsi, d’une part, il y a, pour tous les êtres, un idéal, un modèle, parfait dans son genre, que l’entendement compose en transfigurant les essences naturelles à l’aide d’un rayon divin ; d’autre part, il y a, chez tous, une spontanéité appropriée à la poursuite de cet idéal.

Dès lors, dans chaque région de l’être, les essences et les lois ont deux aspects.

Dans le monde physiologique, la vie ne se réduit pas à un ensemble de fonctions observables. C’est, au fond, une puissance interne, tendant à réaliser, au sein de chaque espèce, les formes, non seulement les plus utiles aux êtres eux-mêmes, mais encore les plus belles, que cette espèce comporte.