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puissance de l’homme et d’accroître, comme indéfiniment, son empire sur lui-même et sur les choses.

Et, si l’homme est puissant par la société qui coordonne ses forces, d’autre part, à mesure qu’il s’en isole davantage, et que, par là même, il donne à sa vie un but moins élevé, à mesure diminue sa liberté intérieure et extérieure. Il rencontre, au dedans de lui-même, des passions qui le tirent en tous sens, et qu’il n’a plus la force de maîtriser. Précieux auxiliaires quand elles étaient subordonnées, elles réduisent l’homme à l’impuissance quand elles s’en disputent la possession : la nature humaine porte en soi les marques d’une destination plus haute que la vie individuelle. De même, l’individu isolé est sans force en présence de la nature. Celle-ci reprend son avantage lorsque l’homme abdique le privilège d’une harmonie supérieure, qui l’élevait au-dessus d’elle.

S’il est vrai que l’homme possède, dans le libre arbitre, une image de la liberté divine, il n’est plus étonnant que l’ordre des phénomènes psychologiques présente quelque degré de contingence. L’élément contingent est précisément l’effet extérieur du progrès ou de la décadence morale, de l’intervention de la liberté pour modifier une habitude, mauvaise ou bonne. Les lois fixes, au contraire, sont l’expression de la part laissée par l’âme à l’habitude.

La doctrine de la spontanéité, plausible en ce qui concerne l’homme, est-elle inapplicable aux êtres dépourvus de conscience ?

Sans doute, ces êtres ne peuvent posséder cette forme supérieure de la spontanéité qu’on nomme le libre arbitre, et qui consiste à poursuivre des fins éloignées, en ayant conscience, au moment où l’on adopte un parti, de la faculté qu’on a d’en embrasser un autre. Sans doute aussi il est impossible d’assigner dans quelle mesure la spontanéité peut leur appartenir en propre et se distinguer de l’action