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doctrine, le dénouement du moins, l’idée générale de nos actes, reste en notre pouvoir. Si les actes suprasensibles de chacun de nous sont liés nécessairement entre eux, ils sont liés de la même manière aux actes suprasensibles des autres êtres, face interne d’autres phénomènes. Le même raisonnement qui établit la corrélation nécessaire de toutes les déterminations d’une même volonté établit la corrélation nécessaire de tous les systèmes de déterminations volontaires. Notre caractère personnel est une pièce indispensable du monde intelligible : il ne s’en peut détacher, il ne se peut modifier, sans rompre l’unité et l’harmonie du tout. L’acte qui crée notre vie morale est, dans son existence et dans sa nature, une conséquence inévitable des actes de toutes les autres volontés.

Il serait d’ailleurs inutile d’alléguer que si nous ne pouvons rien changer aux phénomènes physiques et psychologiques, nous pouvons du moins les vouloir dans tel ou tel esprit, et qu’en ce sens purement formel et métaphysique nos intentions restent libres. Cette hypothèse ôterait toute raison d’être à l’existence du monde sensible, puisqu’aussi bien nos intentions n’ont pour objet que des idées et que l’objectivité de ces idées serait, au point de vue où l’on se place, indifférente à la moralité. Ensuite cette hypothèse, en déniant au monde des faits la possibilité d’exprimer le côté moral des actes, lui enlèverait en quelque sorte son rôle de phénomène du monde métaphysique, puisque l’élément moral est vraisemblablement l’essence du monde métaphysique, le monde métaphysique lui-même. Par là cette hypothèse nous interdirait tout jugement moral sur les autres et sur nous-mêmes. Elle placerait la moralité dans une sphère inaccessible à la conscience humaine. Enfin, en interdisant à la volonté tout objet qui ne serait pas, d’avance, compris dans le système des phénomènes, elle ferait consister sa perfec-