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l’ordre de ses manifestations est nécessaire. Comme, d’ailleurs, il n’est aucun phénomène donné dans l’expérience qui ne corresponde à un acte de l’être, on ne trouve nulle part une nécessité qui ne soit doublée de liberté. Toute chose est sans doute nécessaire par un côté ; mais, par un autre, elle est libre. Il y a plus : de même que, du côté des phénomènes, la nécessité est absolue ; de même, du côté des êtres, la liberté est infinie. Ainsi, dans cette conciliation, ni la liberté ni la nécessité ne se trouvent diminuées.

Est-il vrai qu’il soit possible de concilier à ce point la liberté et la nécessité ?

Le monde sensible étant considéré, dans cette doctrine, comme le phénomène, le symbole, l’expression du monde intelligible, la même nécessité qui lie entre eux les phénomènes lie entre eux les actes de l’être. Par conséquent, il ne peut être question, dans une vie humaine, d’une détermination interne qui ne serait pas nécessairement liée à toutes les autres. Une seule action décide de toute la conduite. Le caractère de chaque homme, la série de ses déterminations mentales forme un système où chaque partie est appelée par le tout. Il serait inexact de dire que tel ou tel de nos actes est libre ; car, étant donnée notre vie antérieure, il ne peut être que ce qu’il est. Ce qui est libre, c’est uniquement la création de notre caractère, ou système d’actes intérieurs manifesté par la trame de nos mouvements extérieurs. Notre liberté s’épuise dans un acte unique ; et son œuvre est un tout dont aucun détail ne peut être changé. Étrange doctrine, selon laquelle le changement de vie, l’amélioration ou la perversion, le repentir, les victoires sur soi-même, les luttes entre le bien et le mal ne seraient que les péripéties nécessaires d’un drame où le dénouement est marqué d’avance !

Mais c’est encore une illusion de croire que, dans cette