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Les faits, toutefois, semblent attester suffisamment le caractère nécessaire de l’apparition de chaque essence nouvelle. Car cette apparition coïncide constamment avec un certain état de la matière correspondante. Mais quelle est la signification de cette coïncidence ? De quel côté est l’agent, de quel côté le patient ? Est-ce le principe inférieur qui détermine l’apparition du principe supérieur ; ou bien, est-ce le principe supérieur lui-même qui, en se réalisant, suscite les conditions de sa réalisation ? D’une part, une cause phénoménale absolument déterminante est chose inintelligible, parce qu’elle suppose une quantité dépourvue de toute qualité, et qu’une telle essence ne peut exister : l’inférieur ne peut donc déterminer absolument l’apparition du supérieur. D’autre part, pour chaque progrès de l’être, on ne peut expliquer entièrement par les lois du principe inférieur la complication que présente ce principe, alors qu’il devient le marchepied du principe supérieur : il est donc légitime d’admettre que c’est la forme elle-même qui façonne la matière à son usage.

Ainsi chaque monde donné possède, par rapport aux mondes inférieurs, un certain degré d’indépendance. Il peut, dans une certaine mesure, intervenir dans leur développement, exploiter les lois qui leur sont propres, y déterminer des formes qui n’étaient pas appelées par leur essence.

Mais chaque monde ne porte-t-il pas en soi, comme une fatalité interne, une loi qui en régit les phénomènes ; et ainsi la contingence des phénomènes n’est-elle pas, en définitive, une pure illusion ?

Et d’abord, n’existe-t-il pas une correspondance exacte entre un monde supérieur donné et les mondes inférieurs, de telle sorte que la loi du monde supérieur ne soit, en définitive, que la traduction, dans un autre langage, de la fata-