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phénomènes. Frappé de ces avantages, l’esprit s’y complait de plus en plus et juge de tout par là.

Et maintenant, cette conception elle-même est-elle définitive ? La science que peut créer l’entendement opérant sur les données des sens est-elle susceptible de coïncider complètement avec l’objet à connaître ?

D’abord cette réduction absolue du multiple à l’un, du changeant à l’immuable, que se propose l’entendement, n’est-elle pas, en définitive, la fusion des contradictoires ? Et, si l’absolu est l’intelligible, cette fusion est-elle légitime ? Ensuite, suffit-il que l’entendement fasse une part aux sens pour que l’esprit soit placé au point de vue vraiment central ? En réalité, cette concession n’intéresse que la recherche des lois de la nature. Elle n’implique pas un changement dans la conception même du monde. Du moment que l’entendement impose à la science sa catégorie de liaison nécessaire, il n’importe, théoriquement du moins, que les sens soient ou non associés à l’œuvre de la connaissance. Il reste vrai qu’une intelligence parfaite tirerait toute la science d’elle-même, ou du moins de la connaissance d’un seul fait, considéré dans la totalité de ses éléments. Le monde reste un tout parfaitement un, un système dont les parties s’appellent nécessairement les unes les autres.

Or cette catégorie de liaison nécessaire, inhérente à l’entendement, se retrouve-t-elle en effet dans les choses elles-mêmes ? Les causes se confondent-elles avec les lois, comme le suppose, en définitive, la doctrine qui définit la loi un rapport immuable ?

Cette question intéresse à la fois la métaphysique et les sciences positives. Car la doctrine qui place dans l’entendement le point de vue suprême de la connaissance a pour effet de reléguer toute spontanéité particulière dans le monde des illusions : de ne voir dans la finalité qu’une reproduc-